La donnée, véritable ADN de nos villes de demain ?
L’humanité se développe essentiellement dans les centres urbains ou périurbains, a fortiori dans les villes, d’où l’émergence du concept de Smart City, c’est-à-dire pourquoi et comment la ville peut et doit devenir plus “smart”. Cette ville plus intelligente ne doit pas freiner ce développement humain et faire en sorte qu’il soit soutenable car c’est également là que surgissent la plupart des problèmes à résoudre (congestion, pollution, gaspillage,…).
La Smart City couvre tous les champs de la Société : c’est un enjeu écologique, économique, social et sociétal. Citoyens, élus, acteurs du public ou du privé, nous sommes tous aujourd’hui conscients de l’importance à accorder à l’amélioration de nos conditions de vie, à la protection de notre environnement et à l’optimisation des ressources, là où l’humanité se trouve être le plus concentrée, en ville. Et la Smart City nous offre cette promesse.
“Il va sans dire que nous voulons l’intelligence, mais je ne veux pas que ma vie soit réglée par des algorithmes. Je veux savoir ce que l’intelligence peut faire pour les citoyens”. Peter Madden, le CEO de Future Cities Catapult, centre britannique d’innovation urbaine
Mes lectures et les rencontres que j’ai faites m’ont apprises qu’il y a beaucoup de paroles mais parfois peu d’actions concrètes mises en place au niveau global d’une ville. De plus, certains investissements ne sont pas toujours aussi prometteurs ou rentables qu’escomptés. C’est pourquoi il est utile, voire primordial, d’adopter une posture “test & learn”, comme dans de nombreux domaines aujourd’hui. Essayer, rectifier, pivoter comme on parlerait dans le jargon startup, telles sont les clés pour parvenir à innover et répondre aux problèmes qui se posent à nous. Si les solutions trouvées échouent quelques fois, elles ont le mérite d’avoir été testées. Les villes qui ne font rien ne se trompent pas mais ne progressent pas également. La survenance de l’échec doit toujours mener à l’évaluation car il est essentiel de vérifier que le dispositif technique déployé – l’innovation – correspond bien à un cas d’usage. Comme j’ai pû le démontrer dans les différentes parties, c’est le citoyen – l’usager de la ville – qui est au coeur de la transformation. Il faut donc trouver des solutions qui répondent à ses besoins et usages, car si ceux-là sont bien aujourd’hui la cause principale des désagréments et congestion de la ville, ils en sont également une des solutions. En effet le comportement de l’urbain d’aujourd’hui, notamment au travers de nouveaux usages liés à l’arrivée massives des NTIC, des smartphones et de la connectivité déployée, rend possible la réalisation de nouvelles solutions. Car c’est bien les données recueillies qui autorisent aujourd’hui les acteurs à plus de créativité et permettent de prévoir grâce à leur analyse la survenance des situations et donc leur prévention.
Pilotées par la donnée, nos villes deviennent des Smart Cities, notre vie en deviendra-t-elle plus smart ?
On comprend par là même que cette ouverture à la donnée soulève des inquiétudes et des réticences. L’exemple de la banque que je connais bien, étant moi acteur au sein de l’une d’elle, montre bien les questions que cela pose : déposé sur des comptes bancaires, notre argent travaille et fructifie davantage grâces aux solutions – placements et autre – proposées par la banque qu’en restant sous nos matelas. Pourtant, en enregistrant les mouvements de nos comptes, la banque a accès à une source incroyable de données nous concernant (actif, passif, impôts, usage de consommation, composition familiale, changement de situation, etc). Malgré cela, tout le monde remet son argent entre les mains des banques car celles-ci ne disposent pas d’une liberté totale quant à l’exploitation des données qu’elles détiennent, et surtout elles s’interdisent – pour combien de temps encore – à les utiliser pour n’importe quel usage : un code de conduite et les entités régulatrices veillent à ce qu’il ne soit pas fait mauvais usage.
L’exploitation de la donnée n’est donc pas un problème en soi si on sait ce qui peut en être fait mais cela nécessite des règles et un encadrement. Et c’est bien ce qui est progressivement en train de se faire (GDPS, DSP2).
On peut alors se poser la question de la sécurité des données et du risque de piratage. Comme dans tous les domaines de la vie, absolument tous, le risque zéro n’existe pas. On cherche certes à le minimiser autant que possible mais on ne peut garantir l’infaillibilité de la sécurité. Les voitures autonomes sont l’illustration de la question des risques à encourir. Elles font couler beaucoup d’encre et n’en sont qu’à leur balbutiement, certains imaginant un déploiement dès 2025, d’autres pas avant 2050 du fait de toutes les questions juridiques et sécuritaires soulevées. Mais n’oublions pas qu’aujourd’hui en France le problème de la sécurité routière, c’est plus de 3600 personnes qui sont tuées chaque année sur les routes, et cela sans que la machine ait pris le contrôle de leur véhicule. Donc la question est : l’IA et les algorythmes feront-ils plus ou moins de victimes ? Quelle est la prise de risque que nos sociétés sont capables d’accepter ? Le débat est plus que jamais posé et reste ouvert également au sein de la ville. Il faut aujourd’hui s’entendre et déterminer les limites à donner à l’utilisation et la sécurité de la donnée, de l’IA, etc.
A ce point nous pouvons légitimement nous demander si nous allons vers des villes pilotées par la donnée ? Et par extension, allons-nous vers une humanité pilotée par la donnée ? Mes observations et mon analyse dans le cadre de ma thèse m’ont permis de mettre en lumière que l’usage de la donnée est une tendance majeure du 21ème siècle, et notamment dans les villes où la data trouve son carburant dans la forte concentration d’une population qui est par ailleurs ultra connectée. Nous nous trouvons à un tournant majeur, celle de la donnée mais plus encore celle de la donnée publique, ouverte, et qui se partage.
Le domaine de la Smart City n’échappe pas aux ambitions de croissance des GAFAM.
Un autre facteur d’attention à mon sens – et pas de moindre – est l’arrivée des GAFAM dans ce secteur en pleine expansion. Cela constitue un enjeu d’importance pour les villes. Celles qui cherchent à devenir plus smart n’ont pas toujours le budget des grosses métropoles. C’est pourquoi elles ont rapidement compris qu’il fallait accepter de travailler avec des opérateurs privés pour répondre à leur problématique. Elles ouvrent alors les accès à leurs données, voire elles donnent leurs données à des acteurs du privé. Et ceux-là ne se font pas prier. Tous les gros opérateurs, GAFAM en tête, veulent investir les villes (avec Amazon Go par exemple qui déploie ses magasins, à l’antipode de son modèle économique initial), car c’est là que se concentre la valeur, à savoir les gens. La population est la source de création et de diffusion de la donnée.
Si ces opérateurs peuvent développer des services innovants qui enrichissent la Smart City beaucoup plus facilement que la mairie, ils prennent également le pas sur l’acteur public et peuvent notamment accroître la prédominance de leur offre commerciale au dépend des autres acteurs de la ville. Quand l’acteur privé connaîtra mieux la ville que la mairie ou les acteurs publics, comment se joueront les enjeux de pouvoir ? Or nous savons qu’il faut être attentif à la préservation du tissus économique de la ville. Ne pas tuer l’âme des villes.
Pour permettre l’ouverture de la donnée et son utilisation en toute tranquillité il faut offrir des garanties : comment en tant que ville je la collecte, où je la stocke et la traite, avec qui je la partage et l’enrichis, et pour quels usages ? Par ailleurs il faut expliquer et convaincre pour aller plus loin dans les mesures prises, prouver par la donnée également que les choix sont pertinents et démontrer par l’analyse, la prédiction, par l’usage de l’Intelligence Artificielle et des algorithmes que la ville va dans la bonne direction. Il est temps d’agir. Et la passivité n’est plus une option.
Retrouvez mon analyse complète dans ma thèse disponible sur mon blog : http://digitalizeme.fr/these-pro-smart-city/
Merci pour cet article éclairant, bien formulé et nécessaire.
Ce que j’ai trouvé passionnant dans votre article, c’est la façon dont vous abordez le rôle des données dans le développement des villes intelligentes, ainsi que l’importance de l’ouverture et du partage des données.
Je suis également d’accord avec vous sur le fait que les villes doivent trouver un équilibre entre l’utilisation des données pour améliorer la vie de leurs citoyens et la nécessité de protéger leur vie privée et leur sécurité.